Au cœur de l’hiver métropolitain, j’ai reçu un email ensoleillé de mon amie Lucile qui séjourne depuis longtemps sur cette belle île de La Réunion. Elle m’a donné une soudaine envie de voyage. Bien que je n’ai pas encore le plaisir de connaitre cette perle de l’océan Indien, en la lisant, je me suis remémoré les fabuleuses senteurs des marchés de Guadeloupe, de Martinique ou de Thaïlande. Avec son autorisation, je vous livre ce rayon de soleil.
Ce matin, je me levée tard : 8H30. Une vraie grasse matinée pour un réunionnais. Je suis allée dans le jardin ramasser des fleurs de frangipanier que j’ai mises dans une coupelle d’eau fraîche sur la table du petit déjeuner, j’aime cette fragrance capiteuse, envahissante, entêtante, en froissant les pétales entre les doigts, il se dégage un jus huileux, si on le met derrière l’oreille ou sur le veine du poignet, on est parfumé pour quelques heures.
Deux cœurs de bœufs tout justes mûrs pendent le long d’une branche frêle ployant sous leur poids. Ils ont la même consistance un peu granuleuse et le même goût doucement sucré que les pommes cannelles, le fruit est juste plus gros, marron, vert, d’apparence vernissée, peu avenante. Ils me feront le plaisir d’accompagner mon thé au retour du marché.
Je mets une petite robe d’été légère, des sandales et je pars au marché du chaudron, c’est un endroit populaire, coloré, les réunionnaises en chapeau y croisent les mahoraise en salouva, le visage maquillé au curcuma, on y parle créole, on s’interpelle, on goûte les produits, on échange les nouvelles. Les zoreilles touristes regardent ébahis cette débauche d’odeurs, de couleurs, de saveurs, de textures.
Les marchands réunionnais prennent de temps de leur donner des explications, de faire goûter, de partager. Ils sont souriants, patients, hâbleurs et moqueurs parfois, généreux toujours.
On trouve ici tous les fruits du pays, deux fois plus frais et deux fois moins chers qu’au supermarché. J’achète des galettes de manioc arrosée de miel de litchis, il faut les manger tout de suite, demain, elles seront sèches cartonneuses, immangeables, c’est normal, il n’y a dedans ni conservateur, ni exhausteur de goûts, ni produits ajoutés même pas de lait ou d’œufs, le produit est brut, délicieux et tellement simple. Je connais la vendeuse, elle me sourit, me dit que cela fait longtemps qu’elle ne m’a pas vu et rajoute à mon panier un cookie maison à la noix de coco.
Sur l’étal d’à côté, je trouve des mangues José, jaunes, arrondies, le vendeur m’en coupe une tranche, elles ne sont pas très sucrées, elles sont un peu chères, c’est le début de la saison. J’en prends quand même en attendant que celle de mon jardin soient mûres. Dans quinze jours elles seront meilleures, dans deux mois, on ne saura plus quoi en faire. Je les mixerai alors avec de la pâte d’amande et je les congèlerai pour l’hiver.
Pour les litchis, j’ai plus de chance, la saison est déjà plus avancée, ils sont juteux, parfumés, on casse l’écorce un peu amère du bout des dents, on s’en met plein les doigts, plein la bouche, on extirpe comme on peut le noyau et on recommence avec un autre. Ici, on vend les litchis avec leurs branches, pour cinq euros, on a presque autant de fruits que de bois, à moins de connaître la vendeuse, qui nous mettra plus de litchis que de bois, cela se négocie avec un sourire. A Maurice, les litchis sont vendus à la pièce, une roupie par litchis, si on en achète beaucoup, on aura une poignée en plus.
L’année passée, j’ai mangé des pêches des hauts jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Au goût et à l’apparence, elles ressemblent à nos pêches de vignes, avec une nuance plus pierreuse. Elles sont un peu dures à l’extérieur et juteuses dedans, j’ai longtemps refusé d’en acheter en pensant qu’elles n’étaient pas mûres jusqu’à ce qu’un marchand me fasse goûter. « Bien dou, bien bon, faut gouté, Mandzèl otroman aou peu pas Konèt».
Cette semaine, je me ferai une cure de jus d’ananas victoria, les meilleurs au monde parait-il. J’extrais le jus d’un côté, je garde la pulpe, je rajoute deux pommes. Dans un blinder, je mélangerai la pulpe d’ananas, deux bananes et le jus. Avec ça, j’ai une réserve d’énergie et de bonne humeur pour la journée. J’ai un peu honte mais j’ai aussi acheté des fraises. Des fraises d’ici bien sûr, mais quand même, acheter des fraises dans le pays des mangues… d’un autre côté, elles sont quand même bonnes, pas autant que des gariguettes mais bien meilleures que les fraises d’Espagne.
Je n’achèterai pas d’épices aujourd’hui, j’en ai encore plein à la maison mais je traîne quand même devant l’étal, j’hume le gingembre frais, je tripote les bocaux de rougaille citrons mangues vertes, j’évalue la fraîcheur des achards et je finis par me laisser tenter par des brèdes, je les mangerai toutes fraîches, justes sautées à la poêle avec un peu d’ail et quelques chouchous cuits à la vapeur et saupoudrés de noix de muscade.
Pour finir, je me suis longuement attardé à un étal d’orchidées, de toutes les couleurs, de toutes formes, elles ne sont pas très parfumées mais elles ploient sous les fleurs, corolles lourdes et voluptueuses, dentelées, charnues, pointues, velues, j’en ai toujours une dans la salle de bain, je lui parle le matin en me levant.
J’hésite à envoyer ce message à mes amis réunionnais, ils risquent de ne pas comprendre pourquoi, je prends une demi- heure de mon temps et quatre minutes du vôtre pour vous raconter quelque chose d’aussi banal …
Demain matin, je file à la mer.
Lucile Paul-chevance